Ranger
Attention "ranger". Désordre à tenir en laisse, débordements à prévoir. Laissant parfois échapper un grognement, grinçant des dents, j'ai ordonné mon espace, redressé les tours de Pise de mes chemises, cahiers, dossiers et livres. J'ai trié, rogné, jeté, sabré. Mes étagères ne laissent désormais voir que la parfaite ordonnance d'un présentoir d'opticien, le lustre en moins. J'en conçois une certaine tristesse, à l'opposé de mon joyeux bordel habituel. C'est curieux parce qu'après tout, il faut bien reconnaître à l'ordre un côté pratique, un gain de temps évident, une économie d'agacements superflus. Mais j'aime bien cet espace entre le moment où je cherche puis celui où je trouve l'objet perdu- car je retrouve tout, ou presque -. Je dis bien "espace" car c'est de cela dont il s'agit et non de temps. Quand j'ai égaré quelque chose, je commence par tourner sur moi-même, lentement, avec une légère arythmie du coeur. Ensuite seulement, je prends possession des lieux. Je marche à grands pas d'un endroit à l'autre en toute malhonnêteté car je sais qu'il me suffirait de m'immobiliser tranquillement sur une chaise et de réfléchir quelques minutes pour découvrir l'objet de ma quête. Non. Je préfère aller et venir. Et oui, cet espace m'appartient, je le réaffirme, partout j'y ai laissé trace. J'égarerais pour occuper les lieux ? Et puis je trouve des pépites, dans les strates de mon désordre, des oublis-malle-au-trésor que je m'émerveille de redécouvrir, une vieille photo, une lettre, un livre. Quels stratagèmes !